Art & Architecture

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Les décors de Rambouillet en 1950

Partez à la découverte d'un château rajeuni par le Président Vincent Auriol !

Présentation du décor

Salon Médicis décoré par André Arbus et Raymond Subes

© Benjamin Gavaudo / Centre des monuments nationaux

Résidence royale, impériale puis présidentielle à partir de 1895, le château de Rambouillet a été remis en gestion au Centre des monuments nationaux en 2009, afin qu’il assure son ouverture au public. En 2018, la décision de la Présidence de la République de quitter définitivement le domaine a ouvert une nouvelle page pour le château, désormais disponible dans son intégralité à la visite. Un partenariat avec le Mobilier national a dès lors été entrepris pour remeubler certains espaces : l’appartement de l’Empereur Napoléon Ier d’abord, premier grand chantier de restauration intérieure, puis plusieurs pièces aménagées dans un style avant-gardiste sous le premier président de la IVe République, Vincent Auriol (1947-1954), et dont le mobilier dormait en grande partie dans les réserves du Mobilier national. Formidable occasion pour le Centre des monuments nationaux de rouvrir ce château, rajeuni par le design chic et moderne des années 1950.

Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le château de Rambouillet est une coquille vide. Endommagé davantage par l’occupation de l’armée américaine à la Libération que par les officiers allemands de la Wehrmacht, il fut toutefois largement démeublé pendant la guerre. Au sortir du conflit, c’est donc une grande entreprise de remeublement qui est lancée par le Mobilier national, et son directeur Georges Fontaine : outre la nécessité de restaurer une certaine dignité présidentielle au lieu, il s’agit de soutenir la création contemporaine à travers des commandes prestigieuses et de promouvoir le renouveau des arts décoratifs. André Arbus, Raymond Subes, Jacques Adnet et d’autres vont ainsi participer à la renaissance du château de Rambouillet, et plus encore à la renommée de la France en matière artistique.

Vincent Auriol, bien que d’origine modeste, est un esthète : sa personnalité, et celle de sa femme Michelle, est déterminante dans le choix des décorateurs et l’ameublement de ses résidences. Bien avant le couple Pompidou, les Auriol orientent donc les commandes, à Rambouillet comme à l’Élysée, vers davantage de modernité : si c’est à des décorateurs confirmés comme André Arbus ou Raymond Subes qu’ils confient les principales commandes, ils s’attachent également à collaborer avec les étoiles montantes de l’époque, Suzanne Guiguichon, Jeanne Blanche Klotz-Gilles ou Genès Babut. Collectionneurs d’art moderne, les Auriol acquièrent aussi pour Rambouillet des sculptures de Germain Richier ou Marcel-Antoine Gimond et des peintures de Raymond Legueult, cohabitant avec harmonie avec les porcelaines de Sèvres et pendules du XVIIIe siècle.

Parallèlement aux commandes lancées par le Mobilier national, de grands travaux de modernisation du château sont réalisés afin de transformer cette demeure de campagne en résidence confortable, à la hauteur des hôtes qu’elle accueillera bientôt. L’architecte Jean Desmarets est ainsi chargé d’installer des sanitaires dans toutes les chambres et d’aménager un « studio » indépendant pour les chefs d’État étrangers et hôtes de marque, constitué de deux chambres superposées dans la tour médiévale – une pour Monsieur, une pour Madame, au cœur d’un salon-écrin aménagé par Jacques Adnet.

Appartement des chefs d'Etats étrangers, le studio

© Benjamin Gavaudo / CMN

Le château doit en effet satisfaire aux exigences de la diplomatie et des réceptions officielles, tout en conservant son aspect chaleureux et intime. De dimension modeste, Rambouillet est apprécié pour la proximité que le Président peut entretenir avec ses hôtes. Il y vient d’ailleurs aussi bien pour travailler, recevoir, chasser, que pour passer du temps en famille, à Noël ou pendant l’été. Proche de Paris et niché au cœur d’un immense domaine, il a aussi l’avantage d’être facile d’accès et assez reculé pour pouvoir s’y détendre loin des regards. Rambouillet a ainsi tous les atouts pour devenir une des résidences favorites du nouveau président.

C’est par son mobilier, à la pointe de la modernité, que le château se démarque. Á la manière des transatlantiques des années 1930, chaque espace est confié à un ensemblier : André Arbus et Raymond Subes pour la grande salle de réception du rez-de-jardin, mais aussi pour la chambre grise au premier étage de la tour médiévale, Jacques Adnet pour le studio des chefs d’États étrangers, Genès Babut pour la chambre de Madame, Suzanne Guiguichon pour la chambre d’ami de l’appartement présidentiel, Jeanne-Blanche Klotz-Gilles pour l’appartement dit du secrétaire général et Pierre Lucas pour les chambres d’invités. Chaque univers est profondément différent : à l’audace des formes futuristes d’une Suzanne Guiguichon succèdent les lignes néo-Renaissance des cuirs découpés d’Arbus. Cette succession de petits univers renforce la dimension « paquebot » de cette nouvelle résidence : après avoir monté les escaliers menant aux différents ponts, on longe des couloirs en forme de coursives qui desservent les différentes chambres d’invités, aménagées comme des cabines, plafonds bas et meubles quasi intégrés. C’est un véritable voyage auxquels les hôtes sont conviés.

Chambre d'amis de l'appartement du président décorée par Suzanne Guiguichon

© Benjamin Gavaudo / CMN

Chaque pièce est conçue comme un tout. Les ensembliers conçoivent le décor général et s’associent avec bronziers, ferronniers, doreurs. Dans la chambre de Madame par exemple, destinée à l’épouse du chef d’État étranger hôte, Genès Babut imagine un décor complet, de la moquette aubergine au dessin du tapis tissé par manufacture d’Aubusson, en passant par les draperies en satin des entrefenêtres et du couvre-lit jusqu’à l’encadrement du miroir. L’ensemble du mobilier, en sycomore laqué, est ponctué de bronzes réalisés par Louis Leygues : anneaux sur les tiroirs et cache-serrures amovibles en forme de visages. Cette chambre aux tonalités douces et satinées – pendant féminin de la chambre néo-Renaissance du dessus, offre la quintessence de l’élégance et du raffinement néoclassique.

Tous les décors sont pensés en fonction du lieu : le mobilier épouse parfaitement les volumes et cohabite avec les décors de lambris : la marqueterie de l’armoire-bibliothèque de Jean-Charles Moreux renvoie au passé Renaissance du château tandis que l’iconographie cynégétique des meubles de Pierre Lucas rappelle la forêt environnante et les chasses qui s’y déroulent.

Détail du cabinet à deux corps de Jean-Charles Moreux

© Benjamin Gavaudo / CMN

En dépit des difficultés d’approvisionnement dans cette France d’après-guerre, les décorateurs rivalisent d’ingéniosité pour proposer ce qu’il y a de plus beau et gracieux, renouant avec la tradition des arts somptuaires français. Suzanne Guiguichon nappe ses meubles en merisier de parchemin, transformant un bois indigène, relativement facile à se procurer, en un objet luxueux et unique. Pierre Lucas utilise un bois clair, le citronnier, jouant des veines du bois pour l’animer tandis que Genès Babut décape légèrement les dorures pour laisser apparaître l’essence de sycomore. Un tel degré de raffinement contraste avec les meubles d’éditions développés à l’époque par Charlotte Perriand ou Jean Prouvé pour faire face aux besoins de la reconstruction. Les commandes de Rambouillet constituent ainsi les derniers feux d’une politique prestigieuse du meuble unique, dont la qualité compte plus que le prix.

Genès Babut, détail du tabouret

© Benjamin Gavaudo / CMN

Envie de visiter le château

Pour aller plus loin

 « Le Château de Rambouillet rajeuni pour ses hôtes d’honneur », Plaisir de France, mars 1954

Le Mobilier national et les Manufactures nationales des Gobelins et de Beauvais sous la IVe République : commandes et achats, catalogue d’exposition, 1997, Beauvais : Galerie nationale de la Tapisserie

Un art d'Etat ? Commandes publiques aux artistes plasticiens (1945-1965), catalogue d’exposition, Archives nationales Pierrefitte-sur-Seine, 2017, Paris : Archives nationales ; Rennes : Presses Universitaires de Rennes

Le chic ! Arts décoratifs et mobilier français de 1930 à 1960, exposition Mobilier national, Galerie des Gobelins, 2022, Paris : Snoeck Gent / Mobilier national

Petit journal de l’exposition « Rambouillet 1950. Dans l’intimité du Président », château de Rambouillet, 2023

Fabien Oppermann, Dans les châteaux de la République: Le pouvoir à l'abri des regards, 2019, Paris : Tallandier

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Camille Canteloup

Référente collections

Direction de la conservation des monuments et des collections

Le dossier thématique

Zoom sur les décors et intérieurs

Dossier | 9 contenus

Plafond de l'escalier du château de Champs-sur-Marne