Art & Architecture
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Un décor emblématique de l’art européen du décor à la fin du XVIIIe siècle, conçu par l’architecte François-Joseph Bélanger
En 1777, le château devient la propriété du comte d'Artois, dernier petit-fils de Louis XV et de Marie Leszczynska et futur Charles X. Il se voit offrir la même année le château de Saint-Germain-en-Laye, dans le cadre de son apanage. Il décide d’installer sa résidence au château de Maisons-sur-Seine, et de réunir les deux domaines afin de disposer d'un large territoire de chasse.
Le comte d'Artois fait réaliser d'importantes transformations intérieures à partir de 1779 par son premier architecte, François-Joseph Bélanger (1744-1818), l'un des architectes majeurs de la seconde moitié du XVIIIe siècle, un des plus inventif dans l’art de la variation du décor d’intérieur, au service de la Cour comme des particuliers. Depuis la création du pavillon de Bagatelle (1777), dit « la Folie d’Artois », l’architecte auparavant connu comme dessinateur des Menus Plaisirs de Louis XVI, jouit d’un grand prestige auprès de ses collaborateurs et jeunes confrères. Les nouveaux décors conçus par Bélanger sont exécutés par le sculpteur Nicolas-François Lhuillier, disciple de Piranèse, et le stucateur Alexandre Régnier. Les travaux s’arrêtent en 1781, en raison des difficultés financières du comte d’Artois.
Cet ensemble est emblématique de l’art européen du décor à la fin du XVIIIe siècle, s’appropriant les motifs « à l’antique » diffusés par Piranèse, notamment par son recueil des Cammini publié en 1769. Ainsi, la tête de Méduse encadrée de deux cygnes est directement inspirée de Piranèse. Les autres motifs, Bacchantes, Renommées, culte de Priape ou aigle inspiré du célèbre relief d’époque impériale conservé à la basilique romaine des Saints-Apôtres proviennent d’émules de Piranèse.
Une esthétique « éclectique » voit ainsi le jour, emprunte de références antiques juxtaposées, typique du décor européen des années 1760-1770 anglais et français. Ce goût se diffuse ensuite rapidement à travers l’Europe, dans la Rome de Raphaël Mengs, la Suède de Louis-Jean Desprez, la Russie de Charles Cameron, de Giacomo Quarenghi et des élèves russes de Ledoux et De Wailly, en passant par l’Espagne où Jean-Démosthène Dugourc, le beau-frère de Bélanger, exécute des chefs-d’œuvre du genre à l’Escurial et à Aranjuez.
L’autre référence importante de François-Joseph Bélanger est anglaise, Angleterre qu’il visite en 1774. Le décor pour la pièce attenante, décrite elle-aussi comme une salle à manger dans le mémoire de l’architecte, est fait de panneaux de stuc « vert antique » disposés entre les fenêtres. Ce décor témoigne de l'anglomanie très vive de la seconde moitié du XVIIIe siècle, dans la mesure où la vogue du stuc, mélange de plâtre, de chaux et de poudre de marbre, avec des inclusions de marbre, vient d'Angleterre.
La salle à manger principale, installée dans l’angle du château, reçoit le décor le plus imposant : il associe à un cadre architecturé de nombreux éléments sculptés dans un décor entièrement minéral. Comme chez Piranèse, dans les modèles des Cammini, la figure et l’ornement sont soumis à une structuration très forte de l’espace. Ici ce sont les colonnes et les pilastres corinthiens qui organisent l’espace, ainsi que les quatre niches abritant les statues de Cérès, Vertumne, Érigone et Flore, représentant les quatre saisons. Ces dernières n’ont été exécutées qu’en plâtre, alors qu’elles auraient dû être taillées en pierre par quatre grands sculpteurs du XVIIIe siècle : Houdon, Boizot, Clodion et Foucou.
L’ensemble évoque la sensualité du repas, en convoquant la figure de Bacchus et du dieu Pan, faune ou satyre, du bouc, ou encore les guirlandes de fruits en feston, là encore directement inspirés du recueil des Cammini de Piranèse. Ce dernier propose des décors de cheminés entièrement sculptés et dépourvus des traditionnels miroirs, au profit d’une évocation pittoresque des vestiges antiques.
Au-dessus de la porte d’entrée, un médaillon représente deux femmes ornant de guirlandes une statue de Priape, motif est emprunté d’une estampe de William Wynne Ryland d’après Angelica Kauffmann (Londres, Science and society picture library), tout comme les deux jeunes femmes sculptées au-dessus de la cheminée sont inspirées des tableaux de Kauffmann, cette célèbre femme peintre au succès international. Ces figures féminines, aux drapés lascifs et aux seins voluptueux, ne se remarquent que dans un deuxième temps au sein des décors sculptés foisonnants. Pourtant, elles sont particulièrement remarquables, anticipant de vingt le célèbre portrait de Juliette Récamier par Jacques-Louis David. Le drapé féminin s’épure, épousant avec simplicité les formes du corps, évoquant la sensualité intense qui sera celle de la mode sous le Directoire.
Alexia Lebeurre et Claire Ollagnier dir., François-Joseph Bélanger - Artiste architecte (1744-1818), Paris, Picart, 2021.
Piranèse et les Français 1740-1790, cat. exp. Rome, Académie de France à Rome et Palais des Etats de Bourgogne de Dijon, mai-novembre 1976, Rome, 1976.
Daniel Rabreau, « Le décor de l’habitat à Paris vers 1800. Formation du style Empire », Les maisons de l’Empereur. Residenze di Corte in Italia nell’étà napoleonic, sous la dir. d’A. Varni, Palais ducal, Lucques, Rivista Napoleonica, n°10-11, 2005-2005, p. 17-36.