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Le salon Dornau-Sarcus au château de Bussy-Rabutin

Connaissez-vous le style « Bidermeier » ?

Présentation du décor

Château de Bussy-Rabutin, rez-de-chaussée, salle à manger

© David Bordes / Centre des monuments nationaux

 

Au début du XIXe siècle se développe en Europe un mode de vie emprunt des nouvelles valeurs bourgeoises. La vie domestique s’organise autour du foyer, de la vie de famille, avec un souci constant pour le confort et une apparente simplicité dans le décor et les arts.

Paradoxalement les familles aristocratiques, royales ou princières participent à cet engouement. Il trouve une forme d’aboutissement dans le style « Bidermeier » autrichien. Cette appellation tardive du XIXe siècle désignait de façon plutôt péjorative la recherche d’une forme d’intimité portant sur des centres d’intérêts jugés anecdotiques, non sans une nuance satirique.

La période définie par le Bidermeier 1815-1830 se confond avec celle de la Restauration en France. Chacun avec leurs spécificités, les milieux aristocratiques européens après le Congrès de Vienne adoptent en effet un mode de vie similaire. La sphère privée se distingue clairement de la vie de représentation. Ce cloisonnement se manifeste dans l’intimité par des décors plus simples, parfois avec un soucis d’économie domestique. Louis XIV vieillissant lui-même avait cherché à distinguer sa vie familiale, dans ses petits appartements ou à Trianon, du système de représentation qu’il avait mis en place. Ses successeurs poursuivent sans cesse le souhait de protection de leur intimité. L’impératrice Marie-Thérèse d’Autriche (1717-1780) était vigilante au maintien d’une vie familiale sans doute à l’origine de la volonté constante de Marie-Antoinette de se ménager une vie personnelle choisie libérée des contraintes de la cour.

Les années révolutionnaires renforcent le besoin de l’aristocratie de cultiver l’entre-soi. Des espaces de vie d’un « néoclassicisme domestique sans façon » décrit par Mario Praz, n’offrent un accès qu’aux plus intimes.

L’ameublement français de l’époque de la Restauration rejoint le Bidermeier autrichien dans l’emploi de matériaux nobles mais avec des formes classiques et une économie d’ornements.

Pourtant une grande modernité apparait dans les lignes, les coloris et le traitement de certains meubles. Les innovations techniques s’invitent dans l’architecture et la décoration des appartements des villes et des maisons des champs.

Le château de Bussy-Rabutin en offre un exemple méconnu. Propriété du comte Roger de Bussy-Rabutin (1618-1693), cousin de Madame de Sévigné, le château est restauré successivement par Jacques Dornau (vers 1780-1832), notable et maire de Bussy-le-Grand, puis le comte de Sarcus (1781-1875) qui entament sa sauvegarde.

Jacques Dornau, propriétaire du château de 1818 à sa mort en 1832, lance une importante campagne de travaux de restaurations. Il aménage au rez-de-chaussée du corps central du château des pièces de réception d’une grande modernité. La salle à manger et le salon ont été restaurés en 2023.

L’inventaire de Dornau en 1832 a servi de base à la restitution. Il est le seul état connu pour cette période. Les décors en place dans le salon et la salle à manger conservaient encore les dispositions et ornements voulus par Dornau. Cet inventaire est précis en ce qui concerne les textiles du salon :

« huit chaises en acajou en toile de joui croisé avec rosasse cachemire au milieu garnies de leur chemise de coton blanche »

« six fauteuils en tout semblables aux chaises et un canapé garni de ses deux oreillers également semblables »

« trois petits tabourets de pied pareils aux dits meubles »

« quatre paires de rideaux en mousseline et franges blanches surmontées de deux draperies en toile de joui rouge garnitures en soie, deux bâtons dorés et quatre patères ».

Ce type de décor textile était très à la mode vers 1820-1840. Le répertoire antique et martial de l’Empire cède progressivement sa place à un répertoire plus végétal et volontiers orientalisant. L’appellation « cachemire » reste assez vague. Elle évoque bien sûr les châles venus d’Orient très à la mode depuis le début du siècle. Le succès de l’entrée dans Paris d’Alexandre Ier de Russie en 1815, puis l’accompagnement de l’indépendance de la Grèce en 1822 ont probablement nourri un renouveau pour l’intérêt du Levant auprès de la population parisienne.

Les plus grandes maisons étaient meublées avec des textiles portant ce type de motifs. Les plus luxueux étaient tissés en soie. De nombreuses grandes demeures avaient également recours à la toile de Jouy. Les motifs variés les plus modernes pouvaient ainsi être disponibles pour le plus grand nombre et posés par des artisans locaux sans difficulté. C’est probablement ce qui fut choisi à Bussy.

De prestigieux exemples sont connus chez Madame Adélaïde et Louis-Philippe au château de Randan, chez la duchesse de Berry au château de Rosny (rideaux de sa chambre fond bleu à semé de rosaces jaunes et rouges) ou encore chez Madame du Cayla au château de Saint-Ouen (rideaux rouges à semé de rosaces jaunes dans la chambre rouge).

Malheureusement ce type de textiles est rarement conservé. Régulièrement changés en fonction des modes, vieillissant mal en raison des apprêts passés sur les toiles, rares sont ceux encore en place sur des sièges. Toutefois les exemples en soie mieux conservés donnent des exemples de poses des motifs. Par ailleurs, de nombreux exemples de cahiers de commande existent. Le musée de la toile de Jouy possède également plusieurs fragments dans ses collections.

Selon les constatations sur place, la couverture des murs excluait la pose de textile ou papier sur tasseaux. L’épaisseur du miroir encore en place ne permettait pas cette disposition.

Conformément aux pratiques de l’époque, un papier peint devait être probablement posé directement sur le mur. Selon toute vraisemblance, ce papier était assorti aux tissus de couverture des sièges, sans doute à fond rouge. Un petit fragment retrouvé sous le miroir en place a permis de confirmer ces suppositions.

Le mobilier aujourd’hui présenté provient du château des Tuileries pour l’appartement de Louise d’Artois (1819-1864), petite-fille de Charles X et future duchesse de Parme. Composé d’un canapé, deux bergères, quatre fauteuils et deux chaises, il a été réalisé en 1829 par Jean-Pierre Louis menuisier (maître en 1787) et Denis-François Fémancourt tapissier. Il a été complété par des tabourets de pieds, un écran de cheminée et un mobilier de la même époque, dépôts du mobilier national.

La salle à manger offre un décor de stucs peints en faux marbres polychromes en trompe l’œil. La grande finesse des modelés des chapiteaux témoigne de la qualité des prestations commandées par Dornau à Bussy. En 1832, les chaises étaient en merisier à assise paillée évoquant les décors romantiques d’un luxe discret et d’un raffinement paisible tel qu’on peut les voir dans les tableaux de Louis-Léopold Boilly (1761-1845).

 

Château de Bussy-Rabutin, rez-de-chaussée, salon de Sarcus

© David Bordes / Centre des monuments nationaux

 

 

Château de Bussy-Rabutin, rez-de-chaussée, salon de Sarcus

© David Bordes / Centre des monuments nationaux

 

 

Château de Bussy-Rabutin, rez-de-chaussée, salon de Sarcus

© David Bordes / Centre des monuments nationaux

Pour aller plus loin

Maurice Dumoulin, Le château de Bussy-Rabutin, Paris, Laurens, 1933.

Intérieurs romantiques, aquarelles 1820-1890, musée de la vie romantique, Cooper-Hewitt museum, Paris Musées, 2012.

Inventaire après décès de Jacques Dornau, 1832 (archives de Côte d’Or-fonds Bussy-Rabutin)

Judith Kagan et Sébastien Boudry, Le château de Bussy-Rabutin, Itinéraire du patrimoine, Paris, Editions du patrimoine, 2023. 

Hans Ottomeyer, Klaus Albrecht Schröder, Laurie Winters (sous la direction de ), Biedermeier, Vienne et Prague 1815-1830, Paris, Musée du Louvre, 2007.

Mario Praz, Histoire de la décoration d'intérieur (Philosophie de l'ameublement), Londres, Thames & Hudson, 1990.

Auteur de la notice

Sébastien Boudry

Sébastien Boudry

Référent des collections au Centre des monuments nationaux

Le dossier thématique

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Plafond de l'escalier du château de Champs-sur-Marne