Art & Architecture
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Goûtez au charme d’une œuvre totale conçue au XVIIIe siècle, étonnante fusion entre l’imaginaire de la grotte et du temple antique
L’édifice, conçu sous la direction des Bâtiments du Roi et du comte d’Angiviller, par ailleurs gouverneur du domaine de Rambouillet, est une laiterie d’agrément ou de propreté dont le roi passe commande en 1785, une année après avoir racheté le domaine au duc de Penthièvre. Ce type de construction, imaginé pour le divertissement d’une aristocratie attirée par la vie rustique, fait l’objet d’un nouvel engouement dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, reprenant en cela le goût de Catherine de Médicis, qui se fait construire une laiterie près de Fontainebleau, mais aussi celui de Louis XIV, qui fait construire deux autres laiteries de propreté à la ménagerie de Versailles, sur le modèle de la célèbre laiterie de Chantilly, aujourd’hui disparue, édifiée pour le prince de Condé.
Une autre laiterie est édifiée sous Louis XV, pour madame de Pompadour à la ménagerie de Trianon, avant que nombre d’aristocrates ne s’entichent de l’idée en même temps que se développe le goût pour les jardins anglais. L’expression la plus aboutie de ces deux modes étant la laiterie d’agrément du hameau de la reine, conçue par Richard Mique en 1785.
Le projet, confié à Hubert Robert, dessinateur des jardins du roi depuis 1784, est chargé de superviser les travaux. Ce dernier fait appel à l’architecte Jacques-Jean Thévenin et au sculpteur Pierre Julien qui exécute le groupe sculpté qui doit être placé dans une grotte, « Amalthée et la chèvre de Jupiter ». Amalthée, mère nourricière de Zeus, est tantôt représentée sous la forme d'une chèvre qui allaite le dieu enfant dans une grotte de Crète, tantôt, sous les traits d'une nymphe qui lui donne à boire le lait d'une chèvre. Ce groupe reprend ici plutôt le récit d’Ovide dans ses Fastes, qui met en scène une naïade à qui Zeus est confié encore enfant par Rhéa. Ce célèbre nu, l’un des plus beau du XVIIIe siècle, joue avec la froideur antique de la pause et du traitement du visage de la nymphe, mais aussi avec la sensualité intense de la sculpture du siècle, remarquable dans le drapé tombant comme dans la saisie des poils de la chèvre. Le traitement du groupe fait ainsi entièrement écho à la dualité du lieu, à la fois classique et intensément mystérieux, voire animal, dans ses profondeurs. Le contraste entre le marbre blanc et la pierre de Vergelé de la grotte, plus modelable que le grès initialement choisi, accentue encore cet effet.
Hubert Robert introduit une esthétique nouvelle dans le genre de la laiterie d’agrément dès la disposition des salles. Ce temple néo-classique est composé de deux salles à éclairage exclusivement zénithal, l’une ronde et l’autre rectangulaire. À Rambouillet, la laiterie de préparation se trouve dans les sous-sols des dépendances de la laiterie de propreté, permettant la dégustation du lait dès la première salle, tandis que la seconde est consacrée au rafraichissement.
La rotonde à caissons de la première salle est directement inspirée des thermes de Dioclétien, tandis que la vaste salle rectangulaire n’accueille plus de fontaine mais des rochers artificiels encadrant deux bassins irréguliers. L’inspiration rappelle celle d’Hubert Robert pour Versailles, où il fait construire une grotte artificielle afin d’abriter des groupes en marbre de chevaux sculptés par Girardon entre 1778 et 1781, mais aussi celle de Méréville, au service du financier Jean-Joseph de Laborde, exemple le plus abouti de jardin « nouveau », c’est-à-dire anglais.
Cette spectaculaire confrontation entre le modèle antique et l’inspiration naturelle venue d’Angleterre produit à la fois un effet d’étonnement et de singulière harmonie. L’effet de brouillage entre nature et artifice, déjà à l’œuvre pendant la Renaissance avec la production plastique d’un Bernard Palissy, trouve ici une expression épurée et qui intègre de plus l’épaisseur du temps humain avec la référence antique.
Le mobilier conçu pour lieu est lui aussi nouveau : il n’est pas question, dans la première pièce, d’une traditionnelle table centrale en marbre complétant les tables d’appui comme dans les autres laiteries. C’est une table en acajou massif qui est livrée en 1787 par Georges Jacob à Hubert Robert, accompagnée de quatre guéridons et de tout un ensemble de sièges « de forme nouvelle de genre étrusque en beau bois d’acajou massif d’après le dessin de Robert ». Une grande terrine et six tasses avec leurs soucoupes, le tout de porcelaine, sont livrées pour cette salle en 1788.
La Laiterie de la reine est inaugurée en juin 1787. Avec un délai d’exécution aussi court, le sculpteur Julien, chargé également d’exécuter deux frises et six médaillons, s’adjoint deux autres sculpteurs du roi, Claude Dejoux et Jean-Joseph Foucou. Son groupe sculpté, modelé en plâtre puis esquissé en marbre dès 1786, demeure l’œuvre qui marque la laiterie. L’artiste aurait souhaité l’exposer à Paris, au Salon de 1787 afin d’en recueillir les éloges, honneur qui lui est refusé par le comte d’Angiviller.
Annick Heitzmann, « La laiterie de Rambouillet », Versalia. Revue de la Société des Amis de Versailles, n°10, 2007, p. 46-57.
Hubert Robert et la fabrique des jardins, cat. exp., Paris, Rmn, 2017.
Antoine Maës, La laiterie de Marie-Antoinette à Rambouillet. Un temple pastoral pour le plaisir de la reine, Paris, Gourcuff Gradenigo, 2016.