Art & Architecture

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La chaumière aux coquillages

Découvrez l'histoire des décors ornés de coquillages

Présentation du décor

Domaine national de Rambouillet, chaumière aux coquillages, salon circulaire

© Benjamin Gavaudo / Centre des monuments nationaux

 

Trois fabriques sont édifiées au sein du jardin anglais du de Rambouillet, aménagé à partir de 1779 par le duc de Penthièvre, fils du comte de Toulouse, désormais propriétaire du domaine : un kiosque chinois construit sur une grotte, une chaumière bâtie au cœur d’une île et un ermitage rustique érigé au sommet d’une colline.

À l’origine, cette petite construction est un cadeau destiné à la princesse de Lamballe, surintendante de la maison de la reine depuis 1774. Mariée à Louis-Alexandre de Bourbon, libertin notoire, elle se retrouve veuve et sans enfant alors qu’elle n’a pas vingt ans. Son beau-père, le duc de Penthièvre, vit une grande partie de l’année à Rambouillet, tout comme sa belle-fille. C’est pour son agrément qu’il commande en 1779 à l’architecte Jean-Baptiste Paindebled cette chaumière aux coquillages, achevée en 1781. Cet édifice est antérieur de quelques années au Hameau de la reine de Versailles, mais s’inscrit déjà dans la vogue bien établie de l’architecture pastorale ou rustiques au sein des domaines royaux et aristocratiques, comme à Chantilly (1774-1775) ou à Bellevue (1781).

La surprise créée par cette chaumière réside dans le contraste absolu avec son décor intérieur, tapissé de coquilles nacrées de Dieppe, coquilles de Seine, moules mais aussi coquillages des Antilles. Le devis des travaux indique que 800 000 coquillages ont été récoltés pour en conserver près de 170 000 après tri et calibrage, mais aussi une tonne et demie de nacre et de verre bleu.

Ce type de décor n’est pas en soi une nouveauté architecturale : dès l’Antiquité, des sanctuaires dédiés aux nymphes sont tapissés de coquillages. Ces nymphées prennent la forme de grottes et abritent généralement un ouvrage hydraulique, permettant de disposer d’un lieu frais en été. Ces grottes ornées de coquillages sont remises au goût du jour tant en Italie qu’en France à la Renaissance. Cependant, c’est au XVIIe siècle que la vogue s’épanouie en France, dont il reste de nombreux témoignages (à Issy-les-Moulineaux pour Marguerite de France, au château de Maisons, à Gerbéviller etc.). En 1676, le décor les gradins du bosquet de la Salle de Bal et l’intérieur de la grotte de Thétis à Versailles est entièrement orné de coquillages. Mais de toutes les grottes de style rocaille, la Shell Grotto (Grotte aux coquillages) dans le Kent est à la fois la plus célèbre et la plus mystérieuse au monde puisqu’il s’est avéré impossible de la dater.

Salon de la Grotte. Potsdam, Nouveau palais de Sanssouci

© Gerhard Murza

 

Depuis le XVIIe siècle, les élites européennes d’Amsterdam, de Londres ou de Madrid se passionnent pour les coquillages lointains venus des mers chaudes, rapportés par les navires de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales fondée en 1602. Les coquillages les plus rares deviennent des objets de luxe ; ils sont sculptés, dorés, peints, et viennent décorer le mobilier des hôtels particuliers dans toute l’Europe. Le nouveau palais de Sanssouci, bâti au milieu du XVIIIe siècle à Postdam pour le roi de Prusse Frédéric II, en est un des plus célèbres exemples. Le décor du salon de la Grotte, attribué à Carl von Gontard, est incrusté de coquillages, de pierres, de marbre, de quartz et de pierres semi-précieuses.

 

 

Grotte aux coquillages. Margate, Kent

© Wikipedia

 

Si Jacques-Germain Soufflot a déjà édifié à Chatou un nymphée achevé en 1777, le dispositif de Rambouillet est inédit dans la mesure où il s’inscrit au sein d’une chaumière et ne dispose d’aucun élément hydraulique. Il ne s’agit pas d’un lieu de fraîcheur, mais d’un lieu de luxe qui évoque aussi la passion naturaliste des amateurs du xviiie siècle. Certes, la coquille est déjà un motif omniprésent de la période dite rococo dans les arts décoratifs, le vocabulaire ornemental s’enrichit considérablement avec le développement des collections de coquilles ainsi que des publications dans le domaine de la conchyliologie, discipline de l’histoire naturelle dont nombre d’amateurs raffolent au xviiie siècle. Antoine Joseph Dezallier d’Argenville est l’un d’entre eux, auteur de La Conchyliologie ou Histoire naturelle des coquilles (1757) qui présente l’intérêt de ce type de collection comme étant aussi instructive qu’agréable pour l’œil.

Tout réside en effet dans la disposition des pièces, comme le montrent les planches du Locupletissimi rerum naturalium thesauri (1734-1765) d’Albertus d’Albertus Seba et Frederik Ruysch. Au sein des tiroirs des coquilliers, les coquillages sont déjà présentés comme ornements. C’est également le cas de la fameuse collection de Simon Schijnvoet à Amsterdam, ou de celle de Joseph Bonnier de la Mosson, riche financier et banquier de la cour à Paris. Lors de la vente publique de sa collection en 1744, un catalogue est rédigé par le marchand Edme-François Gersaint. Véritable pionnier, Gersaint a transformé le marché de l’art de la coquille en développant à Paris le système des ventes publiques avec catalogue raisonné, sur un modèle venu d’Amsterdam, grand centre importateur en Europe. Gersaint propose ainsi dès 1736 le catalogue de la première vente publique de coquillages à Paris, avec des « Observations sur les coquillages » permettant aux amateurs d’apprendre à choisir les coquilles et à les présenter selon les règles de l’art.

Le coquillage devient la matrice de l’infinie variété de la volute, magnifiée par Piranèse dans son recueil des Cammini (1769). Il est ainsi relié à la référence antique qui inspire toute la seconde moitié du XVIIIe siècle. Le décor de la chaumière aux coquillages doit non seulement s’apprécier en référence aux grottes rocailles des XVIe et XVIIe siècles, mais aussi à tout un contexte culturel mêlant fièvre naturaliste et rêverie créatrice piranésienne. Le coquillage est à la fois objet de connaissance, ornement et source d’inspiration, comme la Nature morte aux coquillages d’Anne Vallayer-Coster le montre si brillamment.

Ce décor précieux et fragile, qui sera en partie détruit au cours du XIXe siècle, mêlant coquillages, nacre et pâte de verre au sein d’une chaumière, est l’un des plus précieux témoignages de l’évolution du goût dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle. L’ensemble est agrémenté d’un ensemble mobilier exécuté par François II Foliot en 1780, dont les assises sont en forme de coquille et les pieds sont sculptés en roseaux, le tout peint « au naturel » c’est-à-dire polychrome.

 

Œuvres en rapport

Le décor à la loupe

Pour aller plus loin

Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville, L’Histoire naturelle éclaircie dans une de ses parties principales. La Conchyliologie, qui traite des coquillages, augmenté de la zoomorphose, Paris, De Bure l’aîné, vol. 1, 1757.

Antoine-Joseph Dezallier d’Argenville, L’Histoire naturelle éclaircie dans une de ses parties principales. La Conchyliologie, qui traite des coquillages, 2 vol. Paris, De Bure l’aîné, 1742.

Edme-François Gersaint, Catalogue raisonné de coquilles et autres curiosités naturelles. Paris : Flahaut et Prault fils.

Charlotte Guichard, « La coquille au xviiie siècle : un objet frontière ? », Techniques & Culture, 59, 2012, 150-163.

Antoine Maës, La Chaumière aux coquillages de Rambouillet. La fabrique de l'illusion au XVIIIe siècle, Montreuil, Gourcuff Gradenigo, 2018.

Autrice de la notice

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Morwena Joly-Parvex

Conservatrice du patrimoine

Le dossier thématique

Zoom sur les décors et intérieurs

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Plafond de l'escalier du château de Champs-sur-Marne