Art & Architecture
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Partez à la découverte de l'égyptomanie de la fin du XVIIIe siècle
Dans l'Europe savante, du XVIe siècle à l'aube du XIXe siècle, l'Egypte et sa civilisation retient l’attention de nombreux artistes et savants. Le faux, le vrai et l'imaginaire se sont souvent mêlés au goût pour l'extravagant ou le mystérieux, aspect fondamental de l'orientalisme à ses débuts, qui provient selon l’historien d’art Jurgis Baltrusaitis d'un besoin essentiel de l'humanité « moderne » face à une trop sage histoire du « progrès ».
L’Europe érudite du XVIIIe siècle est particulièrement sujette à l’égyptomanie, mêlant des éléments empruntés à l'art de l'Égypte antique, réinterprétés et réemployés selon la sensibilité de l’époque. Le grand amateur d’art Caylus, dans son volumineux Recueil d'antiquités égyptiennes, étrusques, grecques et romaines (1752-1767) est le premier à montrer la valeur esthétique de l'art égyptien, tandis qu'en Italie, le cardinal Alessandro Albani, le plus important collectionneur romain du XVIIIe siècle, considère que la civilisation égyptienne est l'égale des civilisations grecque et romaine. De même, Piranèse prononce un discours apologétique en faveur de l'art égyptien dans la préface d’un ouvrage paru en 1769 sur Différentes manières d'orner les cheminées. C’est ainsi que, dès les premières années du XVIIIe siècle, sphinx ou sphinges et obélisques apparaissent sur les chenets et pendules.
Au cours de leurs voyages en Italie, les artistes et les particuliers peuvent contempler les antiquités égyptisantes de la Villa Adriana, exposées depuis 1748 au musée du Capitole, grâce au pape Benoît XIV, où elles voisinent avec les découvertes isiaques faites à Rome. Dans la ville éternelle, on peut contempler quantité de obélisques, de sphinx et de lions égyptiens, ou encore la pyramide, à pentes raides, de Caius Cestius. Des artistes comme Hubert Robert ou Pierre-Adrien Pâris rapportent en France ces leçons égyptiennes, qui nourrissent l’imaginaire révolutionnaire, pensant un temps supplanter la religion du Christ par celle d'Isis.
Le motif de la pyramide est récurrent dans l’œuvre d’Hubert Robert, au moment où l’Europe, en pleine anticomanie esthétique, regarde les ruines comme un memento mori, une méditation sur la fin des civilisations, dans la mouvance d’un courant de pensée qui, en cette fin de siècle, s’interroge sur le devenir de l’Europe. En dépit des notations précises relatives à l’Égypte et ses ruines, avec des sphinges gardant l’entrée, la vue depuis le dessous d’un pont rappelle fortement les vues vénitiennes d’Hubert Robert, de même que la cascade au premier plan. La vue proposée par le peintre devient ainsi puissamment imaginaire, entre Égypte et Venise, nature sauvage et urbanisée, ruine et lieu d’activité humaine.
Jurgis Baltrusaitis, essai sur la légende d'un mythe, la Quête d'Isis : introduction à l'égyptomanie, Paris, Perrin, 1967.
Hubert Robert, 1733-1808 : Un peintre visionnaire, [Paris, musée du Louvre, 9 mars-30 mai 2016], cat. exp. sous la dir. de Guillaume Faroult, Paris, Musée du Louvre / Somogy, 2016.
J.-M. Humbert, L'égyptomanie dans l'art occidental, Paris, Art Creation Realisation, 1989.