Art & Architecture
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Découvrez le charme discret d'une vieille robe de chambre
Le tableau original, ainsi que son pendant, Le Singe peintre, exposés au Salon de 1740, sont acquis par le musée du Louvre en 1852 au cours de la dispersion de la collection de Jean-Baptiste Lemoyne, vendues après le décès du sculpteur en 1778. Le Singe peintre a aujourd’hui disparu des collections du Louvre, mais demeure ce Singe antiquaire dont il existe plusieurs versions réduites (musée des beaux-arts de Chartres) ou de grand format (vente Sotheby’s, New York, 24. 01.2008, vente Christie's, New York, 09.07.2010, vente Christie's, Londres, 09.07.2014).
La copie conservée au château de la Motte-Tilly présente de nombreuses divergences avec le tableau original. La robe de chambre est grise, donnant une tonalité bien moins chaleureuse à l’ensemble du tableau, tandis que le meuble à médailles à l’arrière-plan a disparu. Cependant, le traitement du visage du singe ainsi que celui des livres et feuilles éparses au premier plan sont de grande qualité, dans un format encore plus réduit que dans la version du musée de Chartres. Là où Chardin crée du « flou » sur les pages du livre ouvert ou le dessin s’égarant hors des livres, le copiste a ici tenu à donner un minutieux effet de trompe-l’œil sur cette nature morte du premier plan, dans un esprit tout à fait opposé à la magie de Chardin.
Cette copie témoigne du succès de ces deux œuvres bien au-delà du XVIIIe siècle. L’explication qu’en fournit le poète Charles-Étienne Pesselier, ami de Chardin, pour qui selon lui le singe collectionneur devrait se détourner de ses médailles et de ses livres s’il veut se tenir au courant des nouveautés de son époque, réduit quelque peu la portée de l’œuvre. Il a certes de l’ironie, peut-être moralisatrice, dans cette posture de l’amateur qui n’a besoin que de livres et d’un poêle au sein du temple de sa réflexion.
Mais l’atmosphère feutrée du cabinet de l’amateur qui réjouit encore le spectateur. En robe de chambre, emblème du savant et de l’homme de lettres, le singe est tout entier absorbé dans sa contemplation si bien que l’on se peut s’empêcher de songer aux propos de Denis Diderot, trente années plus tard, dans ses Regrets sur ma vieille robe de chambre (ou Avis à ceux qui ont plus de goût que de fortune) de 1772 : « Pourquoi ne l’avoir pas gardée ? Elle était faite à moi ; j’étais fait à elle. Elle moulait tous les plis de mon corps sans le gêner ; j’étais pittoresque et beau ».
Florence Boulerie et Katalin Bartha-Kovács, Le singe aux XVIIe et XVIIIe siècles. Figure de l'art, personnage littéraire et curiosité scientifique, Paris, Hermann, 2019.