Art & Architecture
article | Temps de Lecture3 min
Art & Architecture
article | Temps de Lecture3 min
Partez à la découverte d'un couple "héros-cheval" unique dans la mythologie.
Bucéphale et Alexandre forment un couple « héros-cheval » unique dans la mythologie, dans la mesure où ce cheval a bel et bien existé selon les sources, à la différence de Pégase ou d’Aerion, célèbres chevaux des récits grecs. Comme le relate Plutarque dans sa Vie d'Alexandre, Bucéphale accompagne Alexandre tout au long de la conquête de son empire. Cet étalon, descendant de l'une des juments de Diomède dans les récits mythiques, est très concrètement si farouche et rétif, que Philippe II de Macédoine refuse la monture.
Devant les regrets de son fils Alexandre, Philippe II de Macédoine lui promet Bucéphale s’il parvient à le dompter. Le jeune prince, ayant observé que la bête est effrayée par son ombre, parvient à la calmer en la plaçant face au soleil. Bucéphale n’accepte plus d’autre cavalier qu’Alexandre. C’est cette partie du récit qu’illustre ici Nicolas-André Monsiau, moment où Alexandre parvient à maîtriser un cheval braqué dans un terrible hennissement, le regard effrayé.
Bucéphale le désigne non seulement comme son maître, mais aussi comme futur roi du monde. Tout comme Darius le Grand, empereur des Perses, Alexandre est ainsi proclamé roi par son cheval héroïque, ce dernier devenant en quelque sorte un « double équin ». Rien n’arrête le couple mythique : ensemble, ils étendent les frontières de l’Empire grec de l’Égypte, où le roi fonde la ville d’Alexandrie, à l’Inde, diffusant la culture hellénistique dans tous les peuples conquis.
Si la gestuelle ainsi que la composition relèvent de la traditionnelle peinture mythologique du XVIIIe siècle, la plastique des chairs est d’influence néoclassique, avec ce rendu lisse et sculptural, un usage froid de la connaissance anatomique et un sens de l’action du muscle inexistant au regard des jambes ballantes de part et d’autre des flancs du cheval. Nicolas-André Monsiau est en effet formé à l'Académie royale de peinture et de sculpture de Paris, par le peintre néoclassique Pierre Peyron (1744-1814). Pourtant, à bien des égards, sa manière est de style « poussiniste », tant du point de vue du coloris que de la clarté didactique. Le peintre est agréé à l’Académie en 1787 avec cette toile, Alexandre domptant Bucéphale, réception qui lui permet désormais d’exposer au salon officiel.
La composition n’est pas sans rappeler un des plus célèbres tableaux du peintre Jacques Louis David, Le Premier Consul franchissant les Alpes au col du Grand Saint-Bernard. La composition est en effet strictement reprise, l’effet symbolique est puissant avec la référence à Alexandre le Grand. Jacques-Louis David est cependant bien plus réaliste dans la posture des pieds du cheval.
En revanche, le bras tendu en avant du premier consul, quelque peu désarticulé par rapport au corps, fait référence à l’imagerie populaire et non à la légende mythologique figée. La figure du cheval est remarquable chez Jacques-Louis David : la crinière n’est pas dressée artificiellement comme chez Monsiau, mais emportée dans la fougue d’une bourrasque, fixant les codes romantiques du moment sublime et conférant au cheval une aura aussi importante que celle de son cavalier. Le premier consul est adoubé par son cheval réputé indomptable, comme Darius et Alexandre.
On mesure mieux le traitement classique de la scène par Nicolas-André Monsiau au regard des études laissées par le baron Antoine-Jean Gros d’Alexandre et Bucéphale, conservées au musée du Louvre. Le peintre d’histoire né une vingtaine d’années après Monsiau livre une scène dramatique et vigoureuse du corps à corps entre le héros et le cheval.
Christophe Chandezon, « Bucéphale et Alexandre. Histoire, imaginaire et images de rois et de chevaux », p. 178-179, dans Armelle Gardeisen (dir.), Histoire d’équidés : des textes, des images et des os, Lattes, l’Association pour le développement de l’archéologie en Languedoc-Roussillon, 2010.
Annie Schnapp-Gourbeillon, Lions, héros, masques : les représentations de l’animal chez Homère, Paris, François Maspero, 1981, p. 173-178.