Art & Architecture
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Apprenez l'art du traitement des carnations chez les grands portraitiste de la fin du XVIIe siècle
Ce très beau portrait d’homme en habit bleu intrigue par son modelé à la fois réaliste et délicat, son regard intense et sa bouche féminine. Le manteau est porté de manière théâtrale, offrant un écrin de plis et de couleurs, comme on le retrouve fréquemment dans les portraits de la fin du XVIIe siècle, notamment dans un autoportrait au manteau bleu de Hyacinthe Rigaud (1659-1743), aujourd’hui conservé dans une collection particulière.
Comme bon nombre de gentilshommes des années 1690-1710, le buste est posé de trois-quarts permettant au visage de se diriger vers le spectateur et renforçant l’intensité du regard. La coiffure bouclée et abondante est elle aussi typique de la fin du XVIIe siècle. Peu de détails vestimentaires sont à même de nous aider afin d’affiner la datation de ce portrait, hormis le port de la « chaconne », ce long ruban de soie, ici en dentelle, et qui pend du col de la chemise ouverte négligemment. Elle est en vogue depuis 1770 selon le Dictionnaire de Trévoux, mais elle est surtout présente dans les portraits à partir de 1690.
Ce portrait est demeuré une énigme pour nombre d’experts, mais il se situe bien dans le cercle de trois artistes français qui, du règne de Louis XIV à celui de Louis XV ont révolutionné l’art du portrait : François de Troy (1645-1730), Nicolas de Largillierre (1656-1746) et Hyacinthe Rigaud (1659-1743). Or la manière de « mouiller les yeux », un procédé pictural illusionniste, est identique chez les trois artistes : un petit trait blanc juste au-dessus de la paupière inférieure pour une pupille, et un trait plus large parcourant l’ensemble de la paupière inférieure pour l’autre œil.
Toutefois, et avec l'avancée des recherches et la réapparition progressive de portraits exécutés par Hyacinthe Rigaud pendant sa jeunesse, l’hypothèse que ce portrait soit de sa main doit être écartée. On ne trouve en effet pas l’aspect « lissé » de l'épiderme, les tons fondus, sont très vite loués dès ses premiers portraits.
L'aspect duveteux des textures du manteau ainsi que le travail de reprise des carnations, avec ces petites touches de blanc disséminées sur les pourtours de l'œil ou les parties du visage en saillies, font bien plutôt penser à la touche de François de Troy, dont le travail apparaît tout en épaisseur, ou peut-être son élève, Alexis Belle (voir le Portrait du peintre en miniatures Jacques Antoine Arlaud (1668-1743) de la vente Bruun Rasmussen, Copenhague, 27.11.2018). Tout l’art de François de Troy se situe dans l’équilibre qu’il parvient à trouver entre l’imitation scrupuleuse des traits du visage et le rendu d’une expressivité singulière.
François de Troy est le premier à repousser le poids de la tradition classique dans l'art du portrait et donner à ce genre une impulsion nouvelle et démontre son talent pendant près de cinquante ans. D’origine méridionale, il rejoint Paris et étudie sous la direction d’un grand portraitiste, Claude Lefebvre. Mais c'est en qualité de peintre d'histoire qu'il est reçu en 1694 à l'Académie royale où il passe par la suite par toutes les charges, avant de se spécialiser dans le portrait.
Il répond à de nombreuses commandes de riches particuliers et réalise plusieurs portraits de la famille royale dans les années 1680-1690. Quelques années plus tard, il travaille au service des ducs du Maine et de leur cour de Sceaux. Dans les années 1690, François de Troy devient le peintre principal de la cour du roi Jacques II en exil à Saint-Germain-en-Laye. Entre 1698 et 1701, période de paix entre la France et la Grande-Bretagne, les Jacobites (partisans de Jacques II) pouvaient ainsi traverser la Manche avec des portraits de la famille Stuart.