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La baie de Naples en 1820 par Jean-Joseph-Xavier Bidault

Revivez l'éruption du 24 août de l’an 79 selon le récit de Pline le Jeune.

Présentation de l'oeuvre

Jean-Joseph-Xavier Bidault (1758-1846), Éruption du Vésuve depuis la baie de Naples, 1820. Huile sur toile, 410 x 226 cm. Château de Maisons-Laffitte

© Philippe Berthé / Centre des monuments nationaux

À l’Académie de peinture, le Grand Prix de Rome pour le « Paysage historique » est créé en 1816, à l’instigation des peintres Anne-Louis Girodet-Trioson (1767-1824) et Pierre-Henri Valenciennes (1750-1819). Il se tient tous les quatre ans jusqu’en 1863, année de sa suppression. Les lauréats doivent répondre aux exigences de l’Académie pour le traitement pictural, la composition et les effets de lumière mettant en scène le sujet mythologique ou religieux devant justifier la présence du paysage. Le peintre Jean-Joseph-Xavier Bidault participe pleinement à la promotion du genre et livre dans cette toile un parfait exemple de paysage historique.

L’actualité du sujet est pour ainsi dire « brûlante », puisque le volcan connaît de nombreuses éruptions dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle, mais Jean-Joseph-Xavier Bidault y fait également référence à Pline l’Ancien, témoin de la première éruption ainsi qu’aux faits historiques rapportés par son neveu, Pline le Jeune. Se mêlent donc dans cette composition deux niveaux de lecture, une contemporaine et une érudite.

La lecture contemporaine est primordiale, et il faut replacer cette toile dans le contexte d’une profusion d’écrits sur les éruptions du Vésuve et la véritable fascination qu’il produit chez les écrivains, les amateurs d’art ou les naturalistes. Après la grande éruption du Vésuve de 1779, hautement symbolique puisqu’elle survient 1700 ans après celle qui a détruit Pompéi en 79, une autre encore plus terrible intervient en 1794 : après une puissante explosion de cendres dans le cratère, une large cassure s’ouvre sur un des flancs du volcan, et détruit une partie de la commune de Torre del Greco. Le volcan se manifeste de nouveau en 1806.

Chateaubriand, dès 1804, fait l’ascension du Vésuve, et son récit paraît partiellement dans le Mercure de France en juillet 1806, puis de façon définitive dans le Voyage en Italie paru en 1827. À l’époque où Chateaubriand visite Naples, l’excursion au Vésuve est passée du statut de curiosité archéologique à celui de journée d’aventure, car le cône recouvert de lapilli et de cendres ressemble à du « sable ardent », selon l’expression de Jérôme de Lalande. L’ascension du Vésuve, passage obligé du voyage en Italie et objet traditionnel de récit, est pour Châteaubriand l’occasion de méditer sur l’histoire et la mémoire, comme dans le tableau de Bidault, mettant en avant l’inquiétude des familles, femmes, enfants, vieillard, attendant un bateau pour échapper au désastre.

Cette image du Vésuve est aux antipodes des volcans enchanteurs et incandescents du peintre Pierre-Jacques Volaire, ou des descriptions littéraires magnifiant le phénomène éruptif. Le Vésuve est éruption érotique de pierres pour le marquis de Sade (Œuvres, t. 3, Paris, Gallimard, 1998, Histoire de Juliette, p. 1102). Pour Charles Dupaty, il provoque une « extase. Ce désert ! Cette hauteur ! Cette nuit ! Ce mont enflammé ! Et j’étais là. » (Lettres sur l’Italie, en 1785, t. 1, Paris, Froment, 1827, p. 58-59). La peintre Elisabeth Vigée-Lebrun s’émerveille devant la « cascade de feu » (Souvenirs de Madame Louise-Élisabeth Vigée-Lebrun, t. 2, Paris, Fournier, 1835, p. 107) tandis que Madame de Staël s’enthousiasme devant « le fleuve de feu » dans Corinne (Livre ix, Chap. iii, 1807), frappée par son ascension du Vésuve en 1807.

Le choix de représenter une éruption du Vésuve depuis la baie de Naples est fréquent chez les peintres napolitains livrant aux touristes des gouaches-souvenir d’un événement récurrent dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle et du début du XIXe siècle, et la composition du peintre se réfère en ce sens à l’actualité. Pour le spectateur lettré, l’œuvre de Jean-Joseph-Xavier Bidault évoque aussi, au-delà des gouaches du Vésuve rapportées en masse du voyage en Italie, la mort de Pline l’Ancien par le biais des personnages du premier plan, attendant le secours d’un bateau, même si ces derniers ne sont pas vêtus à l’antique.

Le 24 août de l’an 79, les habitants de Misène découvrent à l’autre bout de la baie de Naples, une colonne de cendres jaillissant vers le ciel. Pline l’Ancien, militaire devenu administrateur mais aussi naturaliste, apercevant la colonne de fumée, embarque à bord d’un petit bateau afin d’étudier le phénomène au plus près. Il se ravise à la suite des messages désespérés parvenus de Pompéi et décide d’envoyer douze navires à la rescousse des habitants menacés, s’étant vu récompensé en étant nommé à la tête de la flotte impériale basée à Misène.

Trente années plus tard, son neveu, Pline le Jeune, fait le récit de cette journée à la demande de l’historien Tacite : « Il [Pline l’Ancien] se précipite à l’endroit que les autres fuient, court droit au danger, maintient le cap dans cette direction et, loin de céder à la peur, dicte et note lui-même l’évolution et les divers aspects de la catastrophe au fur et à mesure de ses observations ». Les bateaux s’approchent du rivage où des habitants de Pompéi se massent, mais la mer étant déjà encombrée de morceaux de roche que le cratère expulse, Pline doit se replier un peu plus au sud, pensant trouver refuge à Stabies.

Pendant la nuit, la colonne éruptive s’est élevée, poussée par la pression des gaz, avant de s’effondrer brutalement, provoquant une nuée ardente. Une coulée pyroclastique, ensevelit d’abord Herculanum et au lever du soleil, Pline découvre l’apocalypse : Pompéi est couverte de pierre ponce, retenant ceux qui n’ont pu partir à temps. Au matin, Stabies est à son tour gagnée par une nouvelle coulée pyroclastique. Pline tente de fuir par la mer, mais il est rattrapé par les nuées de gaz toxique. « Ensuite, des flammes qui parurent plus grandes, et une odeur de soufre qui annonçait leur approche mirent tout le monde en fuite. Il se lève, appuyé sur deux valets, et dans le moment tombe mort », relate Pline le Jeune.

Charles François Lacroix de Marseille (1700-1782), Éruption du Vésuve depuis la baie de Naples, 1770. Huile sur toile, 28 x 41 cm. Collection particulière

© Wikipedia

Oeuvre à la loupe

Pour aller plus loin

Marie-Madeleine Aubrun, « La tradition du paysage historique et le paysage naturaliste dans la première moitié du xixe siècle français », L’Information d’histoire de l’art, no 2, 1968, p. 63-72.

Anna Ottani Cavina, Paysages d’Italie, les peintres du plein air, Paris, RMN, 2001.

Suzanne Gutwirth, « Jean-Joseph Bidauld. Une sensibilité néoclassique », Jean-Joseph-Xavier Bidauld (1758-1846). Peintures et dessins, cat. exp. Carpentras, musée Duplessis ; Angers, musée des Beaux-Arts ; Cherbourg, musée Thomas-Henry, 1978, Nantes, imp. Chiffoleau, 1978.

Désiré Raoul-Rochette, « Notice historique sur la vie et les ouvrages de M. Bidault », 6 octobre 1849, Procès-verbaux de l’Académie des beaux-arts, 1845-1849, Paris, École des Chartes, 2008, t. VIII, p. 456-457.

Autrice de la notice

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Morwena Joly-Parvex

Conservatrice du patrimoine

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