Art & Architecture
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Partez à la découverte d'un grand portraitiste du Siècle d'Or hollandais.
Le portrait d’homme conservé à Aulteribe, signé et daté de 1692, est caractéristique de la manière du peintre Michiel van Musscher, aujourd’hui plus connu pour sa peinture de genre, mais qui a été un grand portraitiste du XVIIe siècle hollandais, genre qui constitue une des sources majeures de l’immense renommée de la peinture hollandaise du Siècle d’Or. Jamais encore une époque n'avait laissé autant de portraits d’individus de toutes les classes sociales, avec un si puissant réalisme, une grande diversité et surtout une qualité exceptionnelle.
Depuis que les provinces du nord ont fait sécession (1579) et se sont constituées en république indépendante, de nombreux artistes migrent vers les Provinces Unies, majoritairement protestantes, en provenance des Pays-Bas du sud, « espagnols » et catholiques. Amsterdam devient alors la plaque tournante du commerce international et cette prospérité profite aux artistes, où un marché de l’art déjà très développé au siècle précédent croît de manière pléthorique, grâce aux collectionneurs privés désireux d’enrichir leurs intérieurs, de montrer leur fortune et de faire réaliser leur portrait.
Michiel van Musscher fait partie de ces peintres actifs à Amsterdam auxquels une riche clientèle s’adresse pour se faire portraiturer. Les codes de représentation sont typiques du genre à la fin du XVIIe siècle, en particulier dans le traitement de l’arrière-plan : un jardin au crépuscule orné de statues quasi-fantômatiques, se retrouvent dans nombre de ses portraits. Ce dispositif n’est d’ailleurs pas sans rappeler celui déjà utilisé par un de ses maîtres, le portraitiste Abraham van den Tempel (1622-1672), comme le montre le portrait de femme conservé au musée de l’Ermitage de Saint Pétersbourg. D’autres peintres de la génération précédente, comme Ferdinand Bol (1616-1680), ont également utilisé ce type de dispositif dans le portrait (Portait d’homme tenant un chapeau conservé au musée du Louvre).
La spécificité de ce portrait réside dans sa sobriété : aucune marque d’opulence matérielle, comme de riches étoffes, ni même de référence au monde des lettres ou des arts. L’homme du portrait d’Aulteribe s’est simplement enveloppé d’un manteau pourpre et désigne de sa main gauche, qui porte deux bagues au petit doigt, un curieux jardin en arrière-plan, orné de statues classiques, mais aussi égyptiennes, ses palais et ses jeux d’eau, comme s’il désignait plus un univers mental que matériel. Il s’agit vraisemblablement d’un érudit, sans doute versé dans l’étude de l’antiquité greco-romaine et de l’Egypte. L’ensemble du dispositif formel est beaucoup plus simple que dans le portrait conservé au musée des beaux-arts de Strasbourg ou de la femme jouant du luth conservé au musée des beaux-arts de Montréal. Il se rapproche davantage du Portrait de Maria Schaep conservé au Rijksmuseum qui pose avec beaucoup de simplicité dans un jardin.
Michiel van Musscher est né à Rotterdam et s’est formé d’abord auprès de son grand-père, Jacob van Musscher. Sa formation est par la suite éclectique : il se forme auprès du peintre d’histoire Martin Zaagmolen, puis, à partir de 1661, Abraham van den Tempel, avant que prendre des leçons en 1667 du célèbre peintre Gabriel Metsu (1629-1667), puis de Adriaen van Ostade (1610-1685) à Haarlem en 1667. Son biographe, Houbraken, rapporte qu’il déménage à Amsterdam afin de travailler pour Jonas Witsen, un riche amateur d’art, qui le présente à ses amis en tant que portraitiste.
Rapidement devenu très populaire auprès de cette clientèle, il attire des mécènes venant de sa propre communauté mennonite (il peint d’éminents anciens mennonites tels que Tobias van de Wijngaert et Galenus Abrahams). Il exécute les portraits de divers membres de familles influentes d’Amsterdam et finit par attirer des mécènes princiers, dont le stathouder frison Hendrik Casimir II (1605-1696). Parmi ses commandes les plus prestigieuses figurent des portraits du tsar russe Pierre le Grand (1672-1725) ainsi que des membres de son entourage lors de leur visite en République néerlandaise en 1697.
Michiel van Musscher profite en outre d’une ouverture du marché du portrait à Amsterdam vers 1670, lorsque Ferdinand Bol (1616-1680) cesse de peindre et que Bartholomeus van der Helst (1613-1670) meurt. Son principal concurrent, Nicolaes Maes (1634-1693), revient à Amsterdam en 1673.
Thomas Da Costa Kauffmann, L’Art flamand et hollandais, 1520-1914, Paris, Citadelles & Mazenod, 2002.
Robert E. Gerhardt, « The Van Musscher Family of Artists », Oud Holland 120, nos. 1-2 (2007) p. 107-29.
Arnold Houbraken, De groote schouburgh der Nederlantsche konstschilders en schilderessen (Amsterdam, 1718-21 ; rev. ed., The Hague, 1753; reprint, Amsterdam, 1980), 3, p. 210.