Art & Architecture
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Découvrez les raisons d'une composition épurée
L’épisode de la vie de Jésus ici évoqué est celui de la tentation du Christ au désert. Après avoir été baptisé par Jean, Jésus se rend au désert et y demeure pendant quarante jours. L’épisode est rapporté par les évangiles synoptiques. Le Diable apparaît alors et lui lance trois défis : changer les pierres en pain afin d’apaiser sa faim, se jeter du pinacle du Temple afin de vérifier que Dieu le protège, et se prosterner devant lui afin d’acquérir une royauté universelle. Jésus décline chaque proposition. Cette triple mise à l’épreuve a été diversement reçue au fil des siècles, car l’épisode énigmatique conduit à s’interroger sur la double nature de Jésus, divine et humaine, sa liberté et sa responsabilité face à la tentation. Quant à la représentation figurée du diable, elle a été polymorphe dans l’art, tantôt sournoisement angélique, tantôt monstrueuse et effrayante.
Le tableau conservé au château d’Aulteribe illustre la première proposition offerte par le Diable au Christ, dans le sillage de Titien, qui choisit lui aussi cet épisode de la vie du Christ dans une œuvre aujourd’hui conservée au Minneapolis Institute of art. La référence à l’œuvre du Titien est d’autant plus pertinente que sa composition épurée, ainsi le mouvement du regard Christ se retrouvent dans le tableau d’Aulteribe. Cependant, l’illustration du le thème demeure rare au XVIIe siècle, hormis dans l’œuvre Domenico Fetti (vente Christie’s, Londres, 08.07.1988).
Le tableau a été attribué par Jean Christophe Baudequin à Giacinto Brandi (1621-1691), un peintre italien du XVIIe siècle, actif à Rome et à Naples. Aujourd’hui peu connu, Brandi est pourtant considéré à son époque comme un maître aussi important que Pier Francesco Mola, Giro Ferri ou Carlo Maratta. Sa manière est influencée par le Caravage, dont il reprend le traitement théâtral de la lumière, mettant en valeur les émotions des personnages. Dans le tableau d’Aulteribe, la composition demeure classique, loin des inventions figuratives baroques présentes dans le Christ dans le jardin de Gethsemane, conservé à la Pinacothèque vaticane, où deux anges venus de l’arrière-plan soulèvent le Christ et dynamisent la classique structure pyramidale. Le traitement naturaliste des figures évoque l’école bolonaise, dans la filiation des Carrache. En dépit de la qualité de l’œuvre, aucun des nombreux spécialistes consultés n’a été en mesure de donner un nom à l’auteur de ce tableau.
Le statisme des poses des deux protagonistes pourrait fragiliser l’attribution à Brandi. Cependant, il faut tenir compte de la spécificité du sujet, qui demande au peintre de choisir d’emblée un parti pris de composition. Il doit caractériser les sensations éprouvées par le Christ à travers son attitude et sa physionomie, et les distinguer des tentations des saints (Jérôme, Antoine ou Benoît), qui sont eux chargés de donner à voir la physiologie de la tentation : l’angoisse, le combat ou la fuite, la flatterie des sens ou l’horreur de ses visions, au travers des créatures dépêchées ou investies par Satan.
Le thème de la tentation du Christ ne se prête ainsi pas aux contorsions baroques, puisque Jésus est chargé d’incarner la fermeté dans le choix, et non l’angoisse. Dans le tableau conservé au château d’Aulteribe, des caractéristiques picturales antagonistes sont à l’œuvre, entre baroque et classicisme. La composition est classique et statique, mais la scène est plongée dans un clair-obscur dramatique et baroque. Si la solennité de la pose du Christ montre sa fermeté face à la tentation, les quatre mains forment une ligne de sinueuse qui vient dynamiser la composition. Ces éléments ainsi que le traitement réaliste de la figure du Christ et du tentateur, situent l’œuvre dans la première moitié du XVIIe siècle.
Le mouvement des yeux du Christ ainsi que sa main déployée vers le spectateur anime efficacement la narration de la proposition satanique. La figure du diable est particulièrement intéressante, vieil homme pourvu de deux petites cornes, reprenant en cela l’iconographie populaire. Son apparence humaine est en revanche traditionnelle. Celle-ci permet de signifier que le diable n’est qu’un miroir où se reflètent les pulsions les plus sombres de l’humanité.
La Tentation du Christ, attribué à Brandi, Giacinto (1623-1691), base RETIF. Source de l'identification de l'attribution : Baudequin, Jean-Christophe)