Art & Architecture
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Partez à la découverte des portraits de courtisanes dans la Venise du XVIe siècle.
La jeune femme porte une ample chemise, dévoilant un de ses seins, sous un lourd manteau de velours vert, doublé de satin rose. La chevelure blonde, pour partie dénouée, glisse négligemment le long du cou, accentuant la sensualité du portrait de la jeune femme. La coiffure, très travaillée, ainsi que ses nombreux bijoux contrastent avec l’apparent négligé de la pose, typique des portraits italiens de courtisanes, notamment vénitiennes. Tous les procédés suggérant l’érotisme sont présents : la proximité des cheveux et de la blancheur la chair, le manteau porté en négligé, dont on ne sait s’il est remis ou en train de glisser. Ambiguïté érotique de la pose, dont on ne sait s’il suggère un avant ou un après. L’arrière-plan, avec sa frise sculptée, suggère que cette courtisane pose au sein d’un palais.
Au XVIe siècle, les portraits de courtisanes sont un topos de la peinture italienne. Le riche monde gravitant autour de la prostitution a toujours attiré l'attention des artistes, dans la mesure où ce type de portrait offre la possibilité de trouver de faciles acquéreurs, et devient l'occasion d'entrer en relation avec les riches protecteurs familiers des courtisanes. Depuis l'antiquité, les artistes recherchent les plus fameuses prostituées - appelées hétaïres - comme modèles. Ainsi, selon la légende, le peintre grec Apelle prend pour modèle Campaspe, la maîtresse d'Alexandre le Grand, tout comme le sculpteur Praxitèle prend pour modèle la célèbre Phryné pour son Aphrodite de Cnide, sans oublier Flora, l'amante de Pompée dont le portrait orne le temple dédié à Castor et Pollux. Cette tradition a sans doute été maintenue au fil des temps avant d’être adoptée par les peintres vénitiens.
Les courtisanes sont des femmes cultivées, certaines sont même de grandes musiciennes, pouvant être invitées à la table de grands seigneurs en Italie. Les occasions de fréquentation entre peintres et courtisanes ne manquent pas, tant dans l’entourage d’homme de lettres comme Pietro Aretino, dit l'Arétin, où des peintres comme Tintoret ou Titien se retrouvent souvent à dîner en compagnie de Caterina Sandella, courtisane et maîtresse de l’Arétin, en compagnie d'Angela Zaffetta, devenue célèbre malgré elle pour avoir été l'objet d'un viol collectif dans l'œuvre poétique de Lorenzo Venier.
L’iconographie de courtisane vue à mi-corps, dont on ne sait pas s’il s’agit de portraits ou de figures fatte a capriccio, est très ainsi en vogue dans l’art vénitien du XVIe siècle. Elle est à l’origine mise à la mode non seulement par Titien (1488/89-1576), mais aussi par Palma le Vieux (v. 1480-1528) puis Pâris Bordone. C’est pour cette raison que l’école de Pâris Bordone (1500-1571) ou celle de Giovanni Antonio Pordenone (v. 1483-1539) ou encore le cercle de Palma le vieux ont été évoqués pour ce tableau. Quoiqu’il soit hasardeux de n’évoquer qu’un nom, le traitement du visage et le décor d’architecture fait davantage penser aux œuvres de Pâris Bordone.
Cette toile correspond sans doute au « portrait de femme par le Titien » dont parle le comte de Sarcus dans ses notes sur les œuvres du château. En effet, ce portrait fait clairement écho aux portraits de courtisanes du Titien, qui circulent dans toute l’Europe renaissante par le biais de l’estampe. La référence à la Flore du Titien, portrait conservé à la galerie des Offices de Florence, ou à la Femme au miroir du musée du Louvre, est particulièrement notable : une mèche de cheveux s’égarant sur la blancheur de la gorge, un même contraste entre la chemise blanche et une étoffe verte pour la Femme au miroir. Cette couleur verte du reste un point commun certains entre nombre de portraits de courtisane, alors que le Consiglio dei Dieci (le conseil des dix) tente de leur imposer, en vain selon toute apparence, le port d’un foulard de couleur jaune. Peut-être faut-il considérer que le choix du vert permet de distinguer la « catégorie » de la courtisane, car Venise recense en 1509 plus de onze mille courtisanes. Dans une ville cosmopolite comme Venise, avec son grand nombre d'étrangers de passage, le phénomène des courtisanes est en effet toléré voire même encouragé.
Fabien Coletti, « Les prostituées vénitiennes entre sources judiciaires et sources littéraires », Maulu Marco (dir.), Nature et définitions de la source, Saint-Étienne, Chemins Italiques, 2015.
Morwena Joly, « ‘Quelle belle couleur ! C’est de la chair !’. Retrouver les couleurs de la Femme au miroir après sa restauration », La Femme au miroir, cat. exp., Genève, Skira/Louvre éd., 2010.
Fabien Lacouture, « Espace urbain et espace domestique : la représentation des femmes dans la peinture vénitienne du XVIe siècle », Clio, 36, 2012, p. 235-257.
Lucrecia de Planta, Essai de reconstitution de la collection de Roger de Rabutin, comte de Bussy, au château de Bussy-le-Grand (Côte d'Or), sous la dir. d’Antoine Schnapper. Mémoire de Maîtrise d’histoire de l'art, Paris IV-Sorbonne, 1991.